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Les arbres d'alignement, gardiens des routes françaises

Le 17 juillet 1970, Georges Pompidou, Président de la République, fait paraître publiquement une lettre destinée à son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas à propos de la sauvegarde des platanes qui bordent les routes de France. Malgré le danger qu'ils représentent pour la sécurité routière, il souligne que « la route, elle, doit redevenir pour l’automobiliste de la fin du XXe siècle ce qu’était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l’on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que l’on se garde donc de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté ! »

Pourquoi ces grands arbres sont-ils emblématiques et précieux au point d’être dans les « bonnes grâces » du Président ? Que font-ils au bord des routes et, surtout, comment sont-ils arrivés là ?

 

Pour comprendre l’intérêt des Français pour les arbres d'alignement, il faut remonter au XIVe siècle sous le règne de Philippe VI (1328-1350). Le roi fait établir plusieurs ordonnances relatives à la conservation des forêts et plus largement à la végétation du royaume. Ce mouvement, que l'on pourrait presque qualifier de « développement durable » avant l'heure, fait suite au défrichement massif du XIIIe siècle, rendu nécessaire par les dynamiques démographiques, transformant ainsi le paysage naturel français.

Cette pratique a été véritablement institutionnalisée sous le règne d'Henri II (1547-1559) qui porte un intérêt certain à l'habillage des routes du royaume. Il n'est plus question alors de préservation de la nature mais plutôt d’esthétique et de prestige. La perspective d'orner les routes avec des arbres parfaitement alignés enthousiasme le roi qui rédige, en 1522, les « lettres patentes royales qui enjoignent de planter des ormes le long des grands chemins et voirie ». Cette phase de plantation est impulsée par l'esprit de la Renaissance et donne pour la première fois aux grands axes routiers un aspect artistique et décoratif.

 

 La question de l’état des routes royales ne perd pas en importance au cours du XVIe siècle. Henri III (1574-1589) fait paraître un édit en 1583 ordonnant de planter des ormeaux, des noyers et d’autres essences en bordure des chemins publics. Cette fois le but n'est plus tant esthétique que pratique. Il faut protéger les grands axes de passage, mais aussi créer un environnement plus favorable au déplacement de l'armée et de l'artillerie. Cet édit, avec l'ampleur qu'il prend, est le premier à ancrer cette pratique de planter des arbres ombrageux et solide le long des routes à l’échelle de tout le royaume.

L'apparence des routes évolue assez peu jusqu'en 1669, année de la création du métier de commissaire des Ponts et Chaussées par Colbert, alors Contrôleur général des Finances de Louis XIV (1643-1715). De grands travaux sont lancés afin de restaurer les routes royales, de permettre des déplacements plus sûrs, d'unifier le réseau routier et de rendre plus fluide la circulation.

La restructuration des routes se poursuit sous Louis XV (1715-1774) qui, avec l’arrêt du 3 mai 1720, fixe la largeur des routes royales et la plantation des arbres qui les bordent. Au programme donc, installation d'ormes, de châtaigniers et d'arbres fruitiers. Les routes sont ainsi plus adaptées à la circulation du moment et ornées d'arbres qui les délimitent et offrent un cadre agréable.

À ce stade, les routes royales et même certains axes secondaires sont agrémentés de grands arbres mais toujours pas de ces platanes qui nous sont familiers.  En effet, leur popularité est moindre que celle des ormes qui présentent toutes les qualités des arbres d'alignement et qui sont traditionnellement utilisés. C'est presque un siècle plus tard que les platanes font leur apparition sur les routes françaises.

 

L'origine principale des platanes d'alignement est prêtée à Napoléon Ier (1802-1815) qui aurait demandé à placer des platanes, arbres peu coûteux, très résistants, pourvus de grandes feuilles et qui ont comme caractéristique la plus intéressante leur croissance très rapide. Le profil parfait pour apporter de l'ombre et davantage de sécurité aux soldats lors des campagnes militaires. Cependant, même si l'empereur fait mention dans ses mémoires de son intérêt pour ces arbres, et bien que l’attrait pour le platane se développe dès le début du XIXe siècle, c'est en fait sous la Restauration (1814-1830) que ces arbres sont placés en grand nombre le long de toutes les routes du territoire.

 

La loi du 25 mai 1825 marque un tournant, qui attribue à l’État la propriété des routes, et donc des arbres d'alignement appartenant jusqu'alors aux propriétaires des terres avoisinantes. Ce changement qui semble anodin permet de lancer une phase de plantation sans précédent à l’échelle de toute la France, en délimitant clairement les espaces routiers publics et privés.

Claude Edelin et Yves Caraglio de l'Institut de Botanique de Montpellier considèrent que la fin du XIXe siècle marque l’apogée des platanes au bord des routes de France. Toujours en croissance sous le Second Empire, le nombre d'arbres d’alignement s’élève à environ 3 millions en 1895. Pour la première fois, c'est bien une majorité de platanes qui orne les routes, leur donnant l’aspect qu’on connaît aujourd’hui.

 

Photographie publiée dans Souvenirs des Pyrénées-Orientales, vers 1890 ©Claude Casanovas.

Les années 1930 ancrent définitivement le platane sous sa forme actuelle au bord des routes de France. Une hybridation entre le platane américain ou occidental, choisi pour sa vitesse de croissance, et le platane turc ou oriental, prisé pour sa capacité d’ombrage, crée alors un arbre aux propriétés idéales. Mais l’élargissement des routes imposé par l’importante augmentation de la circulation conduit à l’arrachage de centaines de milliers d’arbres à l’échelle nationale dans la deuxième moitié du XXe siècle : leur nombre passe de plusieurs millions fin XIXe à environ 200 000 cent ans plus tard.

Alignement de platanes au bord de la route dans un article de France Bleu en 2016 ©Maxppp.

Les platanes posent aussi un problème nouveau de sécurité, car ils sont à l'origine de nombreux accidents mortels. Des politiques nationales d’abattage sont lancées à partir des années 1950 pour lutter contre l’augmentation considérable du nombre de tués sur les routes.

Mais entre 1982 et 1986, une grande partie du réseau national revient à une gestion locale : son entretien incombe désormais à l’administration départementale qui ne place 

plus l’abattage au rang de ses priorités. S’il n’existe plus actuellement de politique massive et coordonnée à cet égard, l’amélioration des infrastructures routières implique encore parfois l’abattage des platanes au niveau local. 

Aujourd'hui, même si les platanes ont perdu de leur succès et sont parfois considérés comme des ennemis pour les automobilistes sur le bord des routes, la sauvegarde de ce patrimoine atypique semble bien engagée.

 

Lisa Louanchi,

L3 HIRISS

Pour aller plus loin :

 

-Guy ARBELLOT, « Les problèmes de la route française à l'entrée du XIXe siècle », Histoire, économie & société, 1990, p. 9-17.

- Yves CARAGLIO et Claude EDELIN, « Architecture et dynamique de croissance du platane », Bulletin de la Société Botanique de France, 2014, p. 279-291.

-Adolphe CHARGUERAUD, Traité des plantations, d'alignement et d'ornement, J. Rothschild éditeur, Paris, 1896.

-Jean-Claude CHESNAIS et Jacques VALLIN, « Les accidents de la route en France. Mortalité et morbidité depuis 1953 », Population, 1975, p. 443-478.

-Jean PETOT, Histoire de l’administration des ponts et chaussées, 1599-1815, Librairie M. Rivière et Cie, Paris, 1958.

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