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Un nouveau pouvoir en ville, l’université médiévale

Un contexte propice à la naissance des universités

Le XIIe siècle est marqué par un essor démographique et économique important. C’est également le siècle de la « renaissance de l’école urbaine » qui transforme l’enseignement en Occident. C’est notamment la redécouverte d’auteurs antiques grecs, en particulier Aristote, mais également Euclide, ou encore Archimède. Les œuvres de philosophie et de sciences naturelles sont alors traduites en latin dans de grands centres de traductions se trouvant dans des zones de contact où le grec est encore connu, voire pratiqué, comme en Italie du Nord (Venise), en Sicile, en Espagne (Tolède). En parallèle de ce renouveau, les écoles urbaines[1], souhaitant se soustraire à toute forme d’autorité, forment progressivement des corporations. Ces corporations, ou associations de maîtres (écolâtres) et étudiants (scolares), sont à l’origine des universités qui voient le jour au début du XIIIe siècle. Maîtres et étudiants décident de se réunir en une universitas, c’est-à-dire un établissement d’enseignement supérieur géré par une organisation corporative qui en garantit l’autonomie et la protection par un serment juré. Les autorités locales souhaitant conserver leur mainmise sur ces écoles, ces fondations ne se sont pas faites sans heurt.

Prenons l’exemple de l’université de Paris, l’une des plus anciennes universités européennes, fondée entre 1200 et 1215. Les maîtres parisiens ont dû faire face à l’hostilité de l’évêque de Paris et du chancelier de Notre-Dame. Le premier ne voulait pas perdre son influence et son droit à délivrer la licencia docendi, c’est-à-dire le diplôme permettant d’enseigner. Quant au deuxième, il voyait probablement d’un mauvais œil cette fondation car elle venait potentiellement concurrencer l’école de Notre-Dame alors spécialisée en théologie, spécialité également revendiquée par l’université de Paris. Malgré des oppositions fortes, ce sont les maîtres et étudiants parisiens qui sortent vainqueurs de ces confrontations. En 1200, ils obtiennent du roi Philippe Auguste la protection et le privilège de ne dépendre que de la justice ecclésiastique – appelé le for ecclésiastique. En 1215, Robert de Courson, alors légat du pape Innocent III, octroie à l’université de Paris ses fameux statuts qui régissent l’ensemble de l’université. La consécration vient en 1231 avec la bulle pontificale Parens scientiarum dans laquelle le pape Grégoire IX, après un nouveau conflit débuté en 1229 entre des scolares et la population locale ayant entraîné une grève de deux ans[2], assure à l’université le soutien de la papauté face aux autorités parisiennes. Ainsi, un jeu de pouvoir important se met en place, les universitaires cherchant à obtenir faveurs et privilèges afin de garantir leur protection et leur autonomie.

 

Le cursus universitaire au Moyen Âge

Les étudiants intègrent dans un premier temps la faculté des arts ou plus précisément la faculté des arts libéraux. En effet, les disciplines des arts libéraux sont au fondement de l’enseignement universitaire au Moyen Âge. Sans l’obtention du statut de maître ès arts, les étudiants ne peuvent pas poursuivre leur cursus. Ce premier cycle universitaire comprend six années d’étude et se divise entre le trivium et le quadrivium. Le trivium, le plus important et prestigieux, compte trois disciplines : grammaire, rhétorique et dialectique (parfois appelée logique). Certaines œuvres d’Aristote et de ses commentateurs arabes (Avicenne et Averroès) sont au cœur du programme. Les disciplines du quadrivium, en marge du trivium, sont au nombre de quatre : arithmétique, géométrie, musique et astronomie. Chaque leçon est donnée en latin et est structurée selon deux éléments : lectio et disputatio. La lectio est un commentaire, plus ou moins détaillé, des auctoritates (autorités) qui sont des textes d’illustres auteurs antiques ou médiévaux. À la suite de la lectio, c’est la disputatio qui commence. L’exercice consiste en une  « dispute », c’est-à-dire une discussion argumentée, entre des étudiants sur un thème donné. Cette dispute est encadrée par un maître qui en fait une reprise à la fin. Pour débattre les étudiants devaient citer de mémoire les auctoritates et recourir au syllogisme (un raisonnement déductif). L’exemple le plus célèbre de syllogisme est celui d’Aristote dans son Organon : « Tous les hommes sont mortels ; or, Socrate est un homme ; donc Socrate est mortel ».

 

Exemple de livres enchaînés, dans Jacques Legrand, Livre des bonnes mœurs, XVe siècle, Chantilly, Musée Condé, ms. 297, f. 71v.

Outre son cursus, c’est surtout sa méthode et la production de son savoir qui rendent l’université médiévale si prestigieuse. Elle fait de la scolastique l’un des fondements de son enseignement. Développée au cours du XIIe siècle par des écolâtres tels que Pierre Lombard, cette approche a fait l’objet de plusieurs débats entre le XIIe et le milieu du XIIIe siècle. Avec la redécouverte des auteurs antiques grecs, comme Aristote, c’est une nouvelle conception du christianisme qui est envisagée. Les auteurs médiévaux s’interrogent sur la possibilité de concilier foi et philosophie antique et produisent ainsi de nombreuses œuvres pour en débattre. Des disputes entre les maîtres voient le jour et vont jusqu’à l’accusation d’hérésie dans certains cas.

La méthode scolastique est néanmoins définitivement adoptée grâce aux travaux d’Albert le Grand (†1280) ou encore de Thomas d’Aquin (†1274). L’essor des universités entraîne également une augmentation de la production des manuscrits. Les premières bibliothèques voient le jour au XIVe siècle, les ouvrages – trop onéreux pour les étudiants – devenant impératifs au suivi de leur cursus. Certaines miniatures montrent d’ailleurs que ces livres étaient attachés à l’aide d’une chaînette (cf. image) pour éviter les vols. Ces ouvrages sont souvent remplis de notes des étudiants lorsqu’un passage en particulier les intéresse.

Une fois la maîtrise ès art obtenue après un examen, les étudiants peuvent, s’ils le souhaitent, poursuivre leur étude en doctorat d’arts, de médecine, de droit ou de théologie. Bien que toutes les disciplines puissent être enseignées dans une université, la réalité est quelque peu différente. Généralement, une université se spécialise dans un domaine : ainsi, les universités de Paris et d’Oxford choisissent la théologie ; Montpellier et Salerne la médecine ; Bologne le droit. Certaines disciplines font également l’objet d’une interdiction, c’est le cas, par exemple, du droit civil que le pape Honorius III interdit à l’université de Paris en 1219. La théologie est, quant à elle, l’apanage de quelques universités : Paris, Oxford et Cambridge. Discipline phare du Moyen Âge promouvant l’orthodoxie chrétienne, elle permet un rayonnement spectaculaire aux villes des universités qui l’enseignent.

En conclusion, si la naissance des universités médiévales ne s’est pas faite sans confrontation, elles furent, une fois établies, un nouveau pouvoir à prendre en considération dans les villes. Créées tout au long du Moyen Âge, elles se sont développées et ont gagné en réputation rapidement. Les maîtres et étudiants affluent et passent parfois par plusieurs universitaires pour parfaire leur cursus ou fuir les conflits locaux (cf. grève de 1229). À l’origine de la production et de la diffusion d’un savoir important, les universités médiévales connaissent un essor extraordinaire entre le XIIIe et le XIVe siècle. Toutefois, l’enseignement finit par s’y scléroser et ne plus correspondre aux attentes des pouvoirs politiques, de nouvelles institutions, telles que les académies modernes, voient ainsi le jour et viennent concurrencer l’université.

Océane Rosello,

Doctorante

Pour aller plus loin :

 

- Jean Garrigues, Thierry Kouamé, Frédéric Attal (dir.), Les universités en Europe du XIIIe siècle à nos jours : espaces, modèles et fonctions. Actes du colloque international d’Orléans (16-17 octobre 2003), Paris, Publications de la Sorbonne, 2005.

 

- Patrick Gilli (éd.), Former, enseigner, éduquer dans l’Occident médiéval, 1100-1450 : textes et documents, Paris, SEDES, 1999.

 

- Jacques Verger, Les universités au Moyen Âge, Paris, PUF, 2013.

[1] Les écoles urbaines, en opposition aux écoles monastiques rurales existant depuis le VIIIe siècle, voient le jour au XIIe dans les villes avec l’essor de l’administration des états. Il existe deux types d’écoles urbaines : privées (gérées par un maître) et cathédrales (gérées par un évêque ou un chapitre).

[2] En mars 1229, une altercation entre des commerçants parisiens et des étudiants éméchés éclate. Après avoir saccagé plusieurs commerces, les étudiants sont présentés à la justice royale dont ils sont normalement exemptés. Refusant de se soumettre à la justice royale et soutenus par les maîtres, ils entament une grève de deux ans qui se conclut après l’intervention du pape Grégoire en 1231.

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