À l’inverse, à Paris, où elle se rend à plusieurs reprises, elle reçoit un meilleur accueil pour ses spectacles : la jeune femme apprécie énormément la France, comme elle le dit elle-même dans sa chanson phare « J’ai deux amours ». L’artiste participe activement aux côtés des Français à la Résistance, pour laquelle elle représente un grand atout. Sa notoriété lui permet en effet de se déplacer facilement, et elle fait passer des documents écrits à l’encre invisible d'un pays à l'autre. Joséphine Baker reçoit la Légion d'honneur et la Croix de guerre, et comme ultime remerciement pour son dévouement à la France, elle entre au Panthéon le 30 novembre 2021, devenant ainsi la première femme noire à y entrer.
Bien que le parcours remarquable de Joséphine Baker constitue une avancée dans l'émergence d’artistes noirs, elle n'est pas la seule à s'être battue pour permettre la présence de personnes noires dans le domaine artistique.
Dans son documentaire intitulé Où sont les Noirs ?, la journaliste et activiste Rokhaya Diallo revient sur le processus d'intégration des Noirs sur le petit et grand écrans. Cette évolution est racontée sous forme d'interviews de divers acteurs et réalisateurs qui rapportent leurs expériences professionnelles et leurs points de vue, mais aussi des historiens et des sociologues qui tentent d’expliquer les étapes du processus. Le documentaire commence par une question qui fait écho au thème général posé : « êtes-vous capable de citer cinq acteurs ou actrices noirs français ? » Bien que la question ne reçoive qu’un nombre limité de réponses, ces hommes et femmes sont très nombreux, mais malheureusement peu exposés et donc méconnus des spectateurs.
Le documentaire présente alors les différents événements qui ont marqué ces quarante dernières années, avec comme élément déclencheur l’influence des États-Unis. On peut citer les séries des années 90 comme Le prince de Bel-Air ou le Cosby Show, qui ont la particularité de raconter le quotidien d'une famille noire avec un casting exclusivement noir. Ces séries donnent beaucoup d’espoir aux jeunes acteurs qui se rendent compte qu'eux aussi peuvent faire ce métier.
En France, le progrès fut dans un premier temps plutôt mitigé, car les rôles enfermaient les acteurs dans une catégorie sociale bien définie, comme des délinquants ou des sans-papiers pour les hommes et des rôles de prostituées ou de maîtresses pour les femmes, réduites à des personnages exotiques. L’héritage d’un passé colonial engendre une représentation essentiellement humoristique, voire ridicule, des personnes noires dans les publicités des années 20, les scénaristes ne parvenant pas à concevoir d’autres rôles à leur confier. Ces dernières sont donc pendant longtemps soit inexistantes, soit présentées de façon dégradante dans les films ou séries françaises.
C'est à force de volonté et de persévérance que certains arrivent finalement à se faire un nom. Le documentaire prend ainsi pour exemple Omar Sy, qui remporte un Oscar pour sa performance dans le film Intouchable, sorti en 2011 et qui a généré près de 20 millions d’entrées. De plus en plus de films mettant en avant des personnages principaux incarnés par des acteurs noirs sont produits, comme Case départ ou Le Crocodile du Botswanga. Certains de ces films sont également tournés par des réalisateurs noirs : c’est par exemple le cas de Il a déjà tes yeux ou La première étoile, réalisés par Lucien Jean-Baptiste. Pour autant, Omar Sy doit sa renommée à une comédie dramatique, et les acteurs noirs restent cantonnés à des rôles humoristiques ou essentiellement des séries policières comme Meurtre au Paradis ou Tropiques criminels. Ces acteurs et actrices cherchent désormais à faire changer les mentalités, éveiller les consciences sur cette profession où l’évolution reste encore lente. Entre remarques sexistes, racisme banalisé, gestes déplacés, un collectif de seize actrices a décidé de témoigner à travers le livre Noire n’est pas mon métier qui relate leur expérience en tant que femmes noires au cinéma, sous la direction de la réalisatrice et actrice Aïssa Maïga. L'objectif est de sensibiliser, éduquer mais aussi libérer la parole en racontant dans un chapitre dédié à chaque actrice des anecdotes sur son expérience.
Aux États-Unis, les acteurs noirs ont une visibilité plus importante qu’en France. En effet, nombreux sont ceux qui ont reçu des prix prestigieux et sont en tête d’affiche de films mondialement connus, comme Morgan Freeman dans Les Évadés en 1994 et plus récemment La Chute du Président en 2019, ou Denzel Washington dans Flight en 2012. On peut aussi noter que les réalisateurs noirs sont plus nombreux en Amérique qu’en France, dans un domaine qui reste encore principalement masculin.
De Joséphine Baker en passant par Omar Sy, on constate que les progrès sont assez lents mais que les choses changent grâce à tous ces acteurs et actrices noirs qui n'ont pas abandonné leur rêve de se faire un nom dans le septième art.
Christine Bulver,
L3 HIRISS
Véritable icône des Années folles, Joséphine Baker, née en 1906 à Saint-Louis dans le Missouri, est à la fois chanteuse, danseuse, actrice. C'est également la première artiste noire à se faire une place sur la scène internationale.
Dans une Amérique encore en pleine ségrégation, Joséphine Baker arrive tant bien que mal à se produire sur scène, car on lui refuse l’accès à divers lieux publics réservés aux Blancs. Elle n’hésite tout de même pas à montrer ouvertement son désaccord face à cette injustice en se rendant dans un restaurant où les Noirs ne sont pas acceptés.
Portrait de Joséphine Baker par le street artist C215
