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Des universités médiévales aux académies modernes

Le concept historique de "révolution scientifique", né des travaux d’Alexandre Koyré, Herbert Butterfield et Thomas Kuhn, désigne les évolutions majeures de la pensée scientifique au fil des siècles. Si la notion fait débat, il n’en demeure pas moins que de nombreuses transformations ont eu lieu au sein du monde des sciences, transformations auxquelles ont contribué un ensemble d’acteurs, dont les académies.

 

La naissance des académies

À la fin du XVIe siècle, le monde savant se trouve soumis et limité au système universitaire établi depuis le Moyen Âge. Cet encadrement limite les savants et leurs travaux aux connaissances des Anciens et au dogme religieux. L’affaire Galilée (1610-1633) est un symbole de cette emprise : l’Église mène une chasse aux sorcières pour que les travaux de Galilée ne soient pas diffusés et finissent dans l’oubli, en vain. C’est dans ce contexte d’opposition que naissent les premières académies, d’abord en Italie puis dans le reste de l’Europe.

Le terme « académie » dérive du nom d’Akadêmos, un riche Grec dont le jardin servait de salle de classe à Platon et ses disciples [Jean DHOMBRE]. Ainsi, les académies du XVIIe siècle regroupent essentiellement des savants autour d’une personnalité politique, dont le patronage garantit financement mais également protection face au jugement religieux. C’est le cas, au milieu du XVIIe siècle, pour l’académie du Cimento, groupe de naturalistes, courtisans de Ferdinand et Léopold de Médicis.

Il faut cependant attendre la seconde moitié du XVIIe siècle pour que les académies deviennent de véritables institutions, réglementées et instaurées par le pouvoir politique. L’intérêt du politique pour les sciences s’accroit avec la guerre de Trente Ans : le « progrès scientifique » va devenir une source de prestige particulièrement recherchée par les pouvoirs politiques européens. De la Royal Society de Londres (1660) à l’Academia Naturae Curiosorum du Saint-Empire (1677) en passant par l’Académie des Sciences de Paris (1666), les créations d’académies « corporalisées » se multiplient à travers le continent. Conjointement se développe un discours sur l’utilité des sciences pour la société : parce qu’elles jouent un rôle dans la compréhension du monde et dans son exploitation, l’organisation des académies et les membres qui la composent sont soumis à la volonté royale.

 

Sur l’Académie des Sciences de Paris.

En 1699, un nouveau règlement est établi et transforme l’académie en réelle institution publique. Elle regroupe 56 pensionnaires, 12 membres honoraires (imposés par la couronne), des associés et des correspondants, originaires aussi bien des provinces que d’autres pays. Plus qu’une institution, l’académie « n’est plus limitée aux organisations formelles, mais comprend toute forme de relation sociale » [Maria Pia DONATO]. L’histoire sociale des sciences s’est emparée de cette dimension et les travaux de James E. Mc CLELLAN III, par exemple, permettent de mettre en avant les profils types des académiciens et des liens qui les unissent les uns aux autres. La figure de l’académicien évolue au fil des siècles : on constate notamment que l’âge d’entrée au sein de l’académie se fait de plus en plus avancé.

 

Des livres aux expériences et aux observations

Les académiciens exercent une science en rupture avec la tradition scolastique des universités. Cette « nouvelle science » dispose de ses propres outils et de ses propres méthodes, fondé sur l’expérience et l’observation. L’expérimentalisme a longtemps été considéré comme un marqueur net de la révolution scientifique. Plusieurs disciplines reposent essentiellement sur cette méthode, notamment la physique et la chimie. Les académies, disposant de financements, peuvent fournir à leurs membres tout le matériel nécessaire pour réaliser leurs expérimentations. Ils permettent d’atteindre l’objectif premier des académiciens : dépasser les Anciens.

La physique expérimentale et les disciplines sœurs ne sont pas les seules à occuper l’esprit des savants. L’histoire naturelle tient une place particulière : elle regroupe en son nom de nombreuses disciplines, comme la médecine ou la botanique, qui demandent une méthode de travail qui repose non plus sur l’expérience mais sur l’observation.

Expérience et observation ont cependant des points communs et ne s’opposent pas. La légitimité d’une hypothèse  repose sur la capacité du savant à la constituer et à la soumettre au regard et à la validation de ses pairs. Les académies favorisent ce processus en offrant l’opportunité de rencontres, de discussions et de débats. Elles deviennent progressivement une sorte de tribunal de la production scientifique auquel aucun savant ne peut échapper et auquel il doit se soumettre s’il souhaite que son travail soit reconnu comme scientifique : elles établissent les frontières de la scientificité.

 

Sciences et correspondances

L’instauration des académies va contribuer à la construction d’un réseau savant européen. Les correspondances savantes tiennent un rôle important dans la production des savoirs. Elles peuvent prendre la forme d’un échange épistolaire entre deux savants comme de la circulation de périodiques. Ces correspondances bénéficient par ailleurs du développement de l’imprimé et faciliter son intégration parmi les supports de savoirs. Dès leurs débuts, les académies s’imposent comme de véritables pôles de communication, le nombre de correspondants leur étant rattachés surpassant de loin le nombre de leurs membres pensionnaires.

Plus qu’un moyen de circulation des savoirs, les correspondances jouent aussi le rôle de ciment qui unit la communauté scientifique en ce que les modernes appellent d’abord une République des Lettres puis une République des Sciences. L’union des savants derrière cet idéal républicain et ses objectifs est inscrite dans le discours académique : égalité entre ses membres, liberté de parole, importance de la Raison… le tout uni derrière une quête du savoir et de la vérité.

 

Universités et académies tinrent une place importante dans la production des savoirs. Elles offrirent un socle institutionnel aux savants et leur permirent de se démarquer dans la société d’Ancien Régime en tant que corps. Cependant, il ne s’agissait pas des seuls espaces de savoirs de l’époque moderne. Dès le XVIIe siècle apparurent les cafés et salons qui gagnèrent en importance au XVIIIe siècle. Sur le même modèle de patronage des académies, ils offrirent une alternative à ceux qui ne pouvaient accéder au titre d’académicien. C’était des lieux de débats et de discussions moins fermés, aussi bien du point de vue social que disciplinaire.

 

 

Sana Maaloumi,

M1 HSSE

 

Bibliographie :

- Christophe CHARLE, Histoire des universités, Paris, Presses Universitaires de France, 2007.

 

- Jean DHOMBRES, « Académie royale des sciences », dans Lucien BÉLY (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, Presses universitaires de France, 2018, p. 15-18.

 

- Maria Pia DONATO, « « Faire corps » : les académies dans l’ancien régime des sciences (XVIIe-XVIIIe siècles) », dans Histoire des sciences et des savoirs, Tome 1: Stéphane VAN DAMME (éd.), De la Renaissance aux Lumières, Paris, Le Seuil, 2015, p. 87-109.

 

- Anne GOLDGAR, « L’Europe savante et ses espaces au XVIIIe siècle », dans Christian JACOB (sous la dir.), Lieux de savoirs. Espaces et communautés, Paris, Albin Michel, 2007, p. 965-988.

 

- Bruce T. MORAN, « Courts and Academies », dans Katharine PARK et Lorrain DASTON (éd.), The Cambridge History of Science. Vol. 3, New-York, Cambridge University Press, 2006, p. 251-271.

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