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L’épopée d’un barbare : Conan le Cimmérien

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« Tu es plus doué pour infliger la torture que pour l'endurer, dit Conan sur un ton posé. J'étais crucifié à cet endroit, tout comme toi, mais j'ai survécu, grâce à certaines circonstances et cette force vitale qui est le propre des barbares. Mais vous autres, civilisés, êtes mous ; votre vie n'est pas clouée à votre épine dorsale comme la nôtre. Votre courage à vous consiste principalement à infliger la douleur, pas à l'endurer. Tu seras mort avant le coucher du soleil »¹


Le barbare jusqu’aux grandes guerres mondiales

D’Hérodote à nos jours, la figure du barbare intrigue et traverse les siècles. Parfois positif, bien souvent négatif, les auteurs décrivent cet autre, ce barbare, celui qui, à l’origine, ne parle pas le grec en opposition à l’homme civilisé. Il incarne le destructeur de l'Empire romain, l'ennemi éternel de toute forme de civilisation et le responsable de l'avènement du Moyen Âge. Issu d’un lieu et d’un temps reculés, il dérange de par ses coutumes, son archaïsme et sa violence ; cette figure d’antithèse du civilisé s’impose jusqu’au XXe siècle. Pendant les Guerres Mondiales, on se sert du barbare pour identifier l’ennemi allemand, celui qui vient menacer la nation française. A contrario, en Allemagne, on le voit de manière positive ; héritage de la pensée d’Henri de Boulainvilliers, on regarde la race germanique non pas comme une source de barbarie, mais comme l’origine commune des populations nobles. Ces populations germaniques, qui avaient conquis l'Empire romain, ne pouvaient donc pas être des barbares, car ils étaient la source de toutes les civilisations du globe. De fait, les Allemands justifient leurs conquêtes comme un retour de leurs territoires perdus.

L’Amérique et la naissance de Conan le Cimmérien 

     

Néanmoins, c’est en Amérique que les courants scientifiques, mais aussi artistiques, synthétisent ces positions historiques antagonistes : l’exemple le plus saisissant est l’histoire de Conan le Cimmérien. Le génie du texan Robert Howard, dans les années 30, se trouve dans la redéfinition du rapport entre le barbare, ici Conan, et ses homologues civilisés. Avant Robert Howard, un barbare qui vivait parmi les civilisés était perçu comme une forme d'anomalie, inversement dans les nouvelles de Conan, le barbare est un être qui doit naturellement se déplacer en direction des territoires sédentaires. La civilisation ne peut se renouveler sans cette « force vitale » dont Conan fait lui-même allusion dans le passage de l'introduction. Ce n'est pas un hasard si, au cours des histoires du Cimmérien, celui-ci passe par tous les rôles caractéristiques de la société d’héroïque fantaisie : esclave, voleur, pirate, seigneur, et même roi. Quand Conan devient roi du riche royaume d'Aquilonie, ce fait n'est que la conséquence logique de la supériorité physique et morale du conquérant barbare. Son avènement marque la fin d’une domination injuste des princes aquiloniens civilisés qui sont mal perçus ; leur lâcheté et leur inconsistance sont des thèmes récurrents de l’œuvre d’Howard. Ainsi le civilisé devient le représentant historique du faible, celui-ci perd toute sa légitimité face aux conquêtes incessantes mais aussi naturelles des barbares, qui sont ainsi devenu l'incarnation totale de la force supérieure. Le barbare ne prend alors son sens que dans son rapport avec son homologue le civilisé, il n'est plus uniquement l'ennemi historique de la civilisation, mais aussi un facteur vital, la source d'évolution d’une civilisation.

Le barbare pendant l’âge d’or hollywoodien

           

La fascination du barbare portée par les nazis a décrédibilisé son image, mais il n'a pas dit son dernier mot ; dans les années 50-60, le bon sauvage devient un emblème de la contre-culture. Tel l'Indien dans les westerns, le barbare incarne l'un des symboles de résistance face à une modernité perçue comme destructrice et aliénante. Pendant l’âge d’or hollywoodien, le cinéma américain des années 50 montre une puissance américaine sûre d’elle à travers les civilisations antiques. Inversement les années 60 sont révélatrices d’une période de doute de la place de l’Amérique dans le processus civilisationnel. C’est au cours de cette même décennie que les deux genres les plus représentatifs de la victoire du civilisé sur le sauvage, le western et le péplum, connaissent une importante période de déclin dans la production cinématographique hollywoodienne. La Chute de l’Empire romain, sorti en 1964 et réalisé par Anthony Mann, est un des rares péplums montrant l’intégration des barbares dans l’Empire romain comme un mécanisme nécessaire pour sa survie, mais ce processus est aussi source de nombreux conflits au sein de l’empire. Malgré un propos nouveau pour le genre, le film ne trouve pas son public et constitue l’un des plus gros échecs au box-office américain². Néanmoins, le célèbre Conan ne connaît aucune adaptation cinématographique pour l’époque, ce personnage remettant en cause les traditions du monde civilisé reste dans l’ombre.

 

Le retour des aventures de Conan dans la culture populaire

Adaptées en comics chez Marvel, les publications des œuvres sur Conan le Barbare connaissent un second souffle dans les années 70, ce phénomène est observé par l’historienne Sylvie Joyce³. Ce regain de popularité se poursuit, en 1982 les aventures de Conan connaissent leurs premières adaptations cinématographiques. Réalisé par John Milius et porté par Arnold Schwarzenegger, le héros incarne parfaitement cette force supérieure du barbare qui vagabonde dans les territoires sédentaires et nomades en quête d'aventure, comme chez Robert Howard. Il est la personnification de la force et du renouvellement, mais toutes les références à une potentielle supériorité raciale ont été épurées. L’imaginaire barbare a su se renouveler dans les années 80, les études se focalisent sur les phénomènes de migrations des populations. Ainsi le vocabulaire évolue : si autrefois on parlait d’« invasions », aujourd’hui on emploie le terme plus neutre de « migrations ». Le barbare devient ainsi la matrice d'un monde nouveau, et c'est sans surprise qu'en pleine période favorable à la figure du barbare que Conan le Cimmérien revient en force. Enfin, pendant les années 90, dans un contexte de restructuration des puissances mondiales avec la chute de l’URSS, les références aux invasions barbares font un retour remarquable dans l'imaginaire populaire. Cet aperçu de la figure du barbare, notamment à travers le personnage de Conan, est révélateur d’un phénomène : quand notre modèle civilisationnel est questionné, l’image du barbare est la première à sortir de l'ombre pour être de nouveau investie.

 

Tristan Picard, Océane Rosello

¹ Robert Howard, L’heure du dragon, Deuxième volume, Paris, Bragelonne, (1934) 2008, p. 398-399.

² Le budget est estimé à 19 000 000 $ pour une recette de 4, 750 000 $, IMBD https://www.imdb.com/title/tt0058085/?ref_=fn_al_tt_1

³ Sylvie Joyce, « Représentations modernes et contemporaines : barbares redécouverts, barbarie réinventée », dans Les Barbares, Bruno Dumézil (dir.), Paris, PUF, 2016, p. 89-116.

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